Cet article revient sur des travaux que j'ai réalisés en utilisant la facilitation graphique dans le monde de la santé. Il s'inscrit dans une série de posts retraçant les différentes thématiques que j'ai pu aborder en dessins. L'ensemble des thèmes est disponible ici.
☕️ Attention, cet article est long (et encore j'ai fait une sélection). J'aime bien bavarder, prenez donc un thé !
Nous allons ici nous intéresser à la santé sous différents aspects : en esquissant une définition, en voyant comment le système de santé peut s'articuler au niveau d'une région, en prenant l'exemple du cancer comme bouleversement de la santé pour enfin effleurer ce à quoi elle pourrait ressembler dans un futur plus ou moins proche. Un autre article fait suite à celui-ci en traitant spécifiquement la question du handicap.
LA SANTÉ, QU'EST-CE QUE C'EST ?
La notion de santé et les concepts de normal et de pathologique qu'elle sous-tend sont finement détaillé dans le livre "le normal et le pathologique" de Georges Canguilhem qui fait référence en la matière. En voici un résumé dessiné (je résume en dessin un livre par mois sur mon blog J'ai lu ça) :
La vie peut être très simplement définie par une série d'actions continues d'excitations, qu'elle proviennent de corps étrangers ou de l'influence du cerveau. La santé, quant à elle, peut s'appréhender selon plusieurs paramètres : des optima fonctionnels, des constantes physiologiques, une marge de tolérance au milieu maximale et une assurance biologique maximale. Tous les paramètres qui viennent d'être énoncés forment un équilibre fragile. La perturbation de cet équilibre peut entraîner une maladie qui va chambouler ces précédents paramètres : les optima fonctionnels et les constantes physiologiques ne sont plus respectés, la marge de tolérance se voit (très) réduite et l'assurance biologique est en train de décroître. Comme le corps n'aime pas le déséquilibre, il va tenter de trouver un nouvel équilibre. Ce rétablissement d'un nouvel équilibre correspond à une "nouvelle" santé, nouvelle car relative à de nouveaux paramètres : de nouveaux optima fonctionnels, de nouvelles constantes physiologiques, une marge de tolérance au milieu réduite ainsi qu'une assurance biologique réduite. La mauvaise nouvelle c'est que la marge de tolérance au milieu et l'assurance biologique ne font que décroître tout au long de la vie. On va fatalement de moins en moins bien au fur et à mesure que l'on traverse des maladies.
Après cette introduction physiologique, il est important d'insister sur le fait que la santé ne s'appréhende pas seulement à un niveau individuel. La promotion de la santé constitue un enjeu de justice sociale :
La promotion de la santé a pour but de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l'améliorer pour parvenir à un état complet de bien-être physique, mental et social. Il ne s'agit pas uniquement d'une question de maladie et de soins. La santé peut être perçue comme une ressource de la vie quotidienne et non comme le but de la vie, c'est un concept positif mettant l'accent sur les ressources sociales et personnelles et sur les capacités physiques.
Les déterminants sociaux de santé peuvent servir de cadre pour l'action de la promotion de la santé. Il s'articulent à différents niveaux : le bagage individuel, les habitudes de vie, les liens sociaux, les conditions de vie et de travail, et les conditions socio-économiques, culturelles et environnementales. Réduire les inégalités sociales de santé peut se faire à travers 5 axes combinés : via les politiques publiques locales ou nationales, avec des environnements de vie sûrs, stimulants, gratifiants et agréables, grâce à la participation des individus et des groupes aux décisions qui les concernent, à travers le développement des connaissances et savoir-faire des individus et avec la réorientation des services de santé vers plus de prévention.
LA SANTÉ MENTALE, UNE QUESTION DE SOCIÉTÉ
La santé est souvent -à tort- appréhendée par le seul spectre du corps, laissant ainsi de côté la santé mentale. Voici pour explorer ce volet quelques résumés dessinés d'une journée dédiée à la santé mentale en entreprise :
La notion de santé mentale est intimement liée au concept de folie. La folie est considérée comme une maladie de l'esprit depuis l'antiquité, tantôt mise sous couvert d'un démon, tantôt par une absence de surveillance de soi. La répulsion qu'inspire les fous a amené très tôt à vouloir les enfermer car ils sont considérés dangereux. L'image qu'on se fait du fou est très caricaturale, l'éloignant volontairement le plus possible de nous. L'histoire de la folie est relative au passage du fou considéré comme un objet à un véritable sujet, de la notion de folie à celle de troubles mentaux avec une atomisation de la psychiatrie, une diversification des soins et une logique relationnelle plus large que l'aspect médical. Malgré ces évolutions, une certaine stigmatisation des fous persiste. Dans l'imaginaire collectif, le fou est à tort souvent associé au danger, au crime... Bref, le mot fait peur mais la réalité est toute autre (et bien évidemment, beaucoup plus complexe).
Enfin, la santé mentale de chacun peut être menacée par des accidents de vie et notamment par des catastrophes naturelles. C'est le sujet d'un guide réalisé pour l'OMS avec la fabuleuse association The Ink Link et la talentueuse illustratrice Emma Tissier :
Le clichés relatifs à la santé mentale sont malheureusement nombreux. J'en ai décrypté 3 avec UNICEF France. Pour leur consulter en détail, n'hésitez pas à aller sur cette page dédiée.
LA SANTÉ EST POLITIQUE
LA COOPÉRATION RÉGIONALE AU SERVICE DE LA SANTÉ
En France, les régions ont une place importante dans la mise en application des politiques publiques de santé. Voici pour l'illustrer un résumé dessiné de la première journée régionale des acteurs de la santé organisée par l'ARS (l'Agence Régionale de Santé) des Pays de la Loire :
L'ARS Pays de la Loire a cherché à co-construire le PRS (Plan Régional de Santé) dans une logique de proximité. L'ARS Pays de la Loire veut ainsi amorcer une nouvelle posture, celle de facilitatrice d'intelligence collective au service des territoires. Ce changement de posture s'appuie sur la richesse des coopérations et expérimentations au sein de territoires, qu'il s'agisse de démocratie participative, de souffrance psychique chez l'adolescent, de prise en charge de parcours complexes, de lutte contre l'habitat indigne, de projet territorial de santé mentale ou encore de coopération inter-hospitalière.
Les URPS (Unions Régionales des Professionnels de Santé) permettent également d'avoir un exercice de soin coordonné sur les territoires :
Guidés par les projets de santé du territoire, les URPS peuvent, à travers l'inter-URPS, mieux travailler ensemble avec et pour le patient.
Les URPS s'inscrivent dans une thématique globale qui est celle de la démocratie en santé :
L'enjeu est de toujours se placer du point du patient et de la satisfaction de ses besoins essentiels en s'appuyant notamment sur les instances de représentation et associations agréées.
La forme que prennent les exercices coordonnés sont variés :
On retrouve parmi eux les CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé), les ESP CLAP (Équipes de Soins Primaires Coordonnées Localement Autour du Patient) et les MSP (Maisons de Santé Pluriprofessionnelles), ses dispositifs ayant chacun des particularités qui leur sont propres.
Le numérique est un apport de plus en plus présent dans le secteur de la santé :
Le numérique apporte des opportunités au niveau de la circulation de l'information en santé à travers le dialogue numérique, l'interopérabilité et le Dossier Médical Partagé. Les données sensibles de santé peuvent aussi être la cible de cyber-attaques, ce qui nécessite également de se pencher sur la cybersécurité.
En France, l'article 51 permet d'innover en santé :
En pays de la Loire, de nombreuses innovations ont été permises grâce à cet article 51 : d-nut : un parcours de repérage et de prise en charge de la dénutrition des personnes âgées, octave : un parcours innovant de la personne âgée en vue d'une chirurgie et Reper / Icope : un système de repérage précoce de la fragilité chez la personne âgée.
La coordination territoriale de la santé s'effectue également à travers le programme e-parcours en région :
La solution e-parcours permet d'outiller le parcours usager via un espace numérique de santé et d'articuler les usages pour une prise en charge décloisonnée.
Voici comme les parcours s'articulent en pays de la Loire :
Le GRADeS (Groupement Régional de e-santé) qui déploie la mise en oeuvre de la feuille de route MaSanté2022 est missionné par l'ARS pays de la Loire. Il privilégie une approche terrain pour aller vers une meilleure coordination pour plus d'efficacité et de fluidité.
Voici les retours d'expérience terrain de la solution e-parcours :
L'un des apports de cette solution c'est une continuité autour de l'usager avec un lien ville-hôpital avec cependant quelques manquements aujourd'hui quant à l'interopérabilité et à l'accès patient.
LES PROBLÈMES DE SANTÉ URGENTS
Voici un travail réalisé dans la cadre de la journée régionale de France Assos Santé fin 2023 sur les problèmes de santé urgents :
Une enquête a été effectuée en Ile-de-France pour dresser le constat autour des soins urgents. Le parcours santé pour les soins urgents est jugé largement non satisfaisant avec une note moyenne de 3/10. Cela provoque des renoncements aux soins bien trop fréquents. Les principales causes de ce renoncement au soin sont diverses : délais de prise en charge trop importants, manque de disponibilités pour prendre un rendez-vous, absence de réponse, coût des soins ou encore inaccessibilité géographique.
Les Franciliens ne se précipitent pas aux urgences par intérêt propre aux urgences mais pas par manque de solution alternative. Cette notion d'urgence est plurielle : il peut s'agir d'une urgence immédiate ou d'une urgence ressentie par le patient, toute aussi légitime.
Face à ces urgences, les personnes ont un besoin d'écoute et de réponse adaptée. Pour cela, le travail en équipe pluri-professionnelle est crucial et différentes modalités de collaboration méritent d'être explorées.
Quand on considère l'accès aux soins d'urgence au niveau du pays, on se rend compte que la situation peut être appréhendée de différentes manières pour un même constat.
Concernant la difficultés d'accès aux soins, on peut présumer qu'il s'agit uniquement d'une mauvaise répartition territoriale des médecins. On peut aussi relativiser cette donnée en réfléchissant en termes de concentration du pouvoir médical des médecins et de modèle de financement des soins construit autour du médecin traitant. Au final, les enjeux de manière plus large consistent à coordonner les savoir plutôt que les ordonner et d'instaurer une véritable démocratie en santé.
Concernant l'engorgement des urgences, la population peut être facilement incriminée en l'accusant d'avoir un recours abusif et en sous-entendant plus ou moins subtilement d'être irresponsable. La réalité derrière de cet engorgement, c'est avant tout un problème d'organisation des soins et un défaut de prise en charge des patients. Une des préconisations consiste à reconsidérer les compétences médicales et paramédicales et d'élargir les compétences.
Face à la diversité des problèmes de santé urgents, les réponses sont de plusieurs nature : s'inscrire dans une logique d'aller vers, définir la notion d'urgence, savoir communiquer avec transparence, penser le parcours du patient et intégrer de nouveaux acteurs, le tout en veillant à conserver le soin au centre.
Pour impulser une démarche de plaidoyer vers une meilleure prise en charge des soins urgents, plusieurs pistes ont pu être effleurées. Il s'agira par la suite de détricoter l'offre soin et d'aller vers une convergence des soins co-construite par ses différents acteurs.
QUAND LA SANTÉ FAIT DÉFAUT : LE CAS DU CANCER
Explorer la question de la santé c'est aussi très souvent soulever la question de la maladie sous différentes formes. Voici le cas malheureusement non anecdotique du cancer avec un accent tout particulier sur la façon de vivre cette maladie au travail (et plus précisément chez BPCE) :
Le cancer, ce diagnostic qui fait peur, concerne 1000 personnes en plus chaque jour en France. Le mot et la réalité qui se cachent avec font peur pour la maladie elle-même naturellement mais aussi pour le problème économique qu'il peut engendrer. Du point de vue d'un manager responsable d'une personne récemment diagnostiquée, le problème de management se pose également.
Chez BPCE, le problème du cancer au travail a émergé avec le diagnostic du cancer du sein de 5 femmes au même étage, le 5ième. Ce contexte difficile a été le point d'entrée d'une méthodologie de travail plus large que le cancer avec la contribution de 5 différents groupes de travail pour aller plus loin que le malade (et la maladie). Ces groupes ont contribué à des ateliers de co-développement et par la suite participé à des sessions centrées sur l'annonce et sur le retour au travail de personae préalablement définis. Voici l'exemple avec l'annonce d'Antoine :
Les participants ont été invités à se mettre dans la peau du persona pour appréhender ses attentes et besoins et ainsi identifier des solutions adaptées.
Prévenir le cancer du col de l'utérus
Ayant cherché à me documenter sur le sujet et n'ayant pas trouvé les documents qui me correspondaient, j'ai décidé de créer un livret de sensibilisation à l'intérêt des frottis en vulgarisation des informations autour du cancer du col de l'utérus et du papillomavirus. Les visuels et des ressources complémentaires sont disponibles sur le site Frottis Chéri que j'ai pensé à cet effet.
UNE LOGIQUE DE PRÉVENTION
Heureusement le domaine de la santé ne s'intéresse pas qu'aux maladies avérées, il se penche également activement sur le champ de la prévention. Parmi toutes les thématiques explorées, je vais m'attarder sur certaines abordées lors de semaine des missions sociales 2021 de la Ligue conte le cancer.
Pour que la pollution touche en moindre mesure les plus jeunes, le dispositif des rues scolaires cherche à se déployer le plus possible :
De par l'immaturité de leur système respiratoire, les enfants sont davantage vulnérables à la pollution atmosphérique. Le dispositif des rues scolaires est un dispositif international restreignant l'accès aux véhicules motorisés devant les écoles. C'est un moyen simple de lutter contre un enjeu de santé publique majeur.
Les mesures de prévention peuvent se faire à tout âge et également à l'adolescence :
Pour que les adolescents puissent développer des décisions éclairées sur leur santé, il est pertinent de les éduquer à la pensée critique. Et si l'adolescence est une période de vulnérabilité, c'est aussi une opportunité pour former de futurs citoyens responsables.
Ados ou adultes, les lobbys d'alcools font bonne presse à leurs produits loin d'être inoffensifs pour la santé :
Il est urgence de dénormaliser et de "décooliser" la consommation d'alcool même si cela demande de se confronter au marketing et au lobbying parfois puissant des producteurs d'alcool. Il s'agit de se placer vers un changement des comportements collectifs et individuels pour réduire les impact colossaux de l'alcool.
Les malades et ancien malades peuvent jouer un rôle clé dans la prévention :
La France est un des seuls pays à diplômer les personnes malades, leur permettant ainsi de jouer une diversité des rôles dans le démocratie en santé avec le savoir expérientiel qu'ils ont pu développer.
De plus en plus de pratiques non conventionnelles apparaissent et il est parfois compliqué de s'y repérer :
Le manque d'encadrement de certaines pratiques peut laisser présager dérive et risque pour leurs bénéficiaires. C'est tout l'intérêt d'encadrer, de documenter et d'orienter vers ces pratiques par des acteurs compétents.
Enfin, l'accès à la santé est à corréler aux inégalités sociales et donc l'action sociale tient une place déterminante :
C'est en étant malade qu'on peut constater l'effet cumulatif de difficultés sociales et financières. Les assistantes sociales jouent alors un rôle essentiel pour les personnes malades ne cumulent pas les parcours du combattant.
QUEL FUTUR POUR LA SANTÉ ?
La science et la santé font sans cesse des avancées incroyables. Aussi, on peut se demander à quoi va ressembler le futur de la santé. La question a été posée lors de la quinzième édition du Mash Up malicieusement intitulée "healthtech quand l'innovation nous veut du bien" :
La data science et la collecte de données qui y est liée peut servir de nombreux enjeux et notamment la réduction du stress en mettant la technologie au service des émotions. Assisterions-nous à une révolution du bien-être ? La question a été soulevée car si la technologie se met au service de la santé (avec, entre autres, des t-shirts connectés), elle va aussi jusqu'à explorer les tréfonds de nos cerveaux pour même tenter de dématérialiser nos émotions (et créer notamment des sextoys connectés). Les solutions techniques et technologiques sont nombreuses mais elles nous font souvent revenir à des questions d'ordre éthique, sociétales et morales. Derrière un a priori innocent sextoy, on va en fait explorer la notion de plaisir (féminin) et les tabous qui continuent à l'accompagner. Au final, on peut avoir une vision positive des nouvelles technologies et arrêter d'être anxiogène pour se concentrer sur ce qui est le plus important, l'utilisateur.
Si vous préférez m'écouter plutôt que me lire, je vous invite à visionner mon intervention à la fin de la table ronde :
Enfin, lors de la dix-septième édition du Mash Up, la question du transhumanisme a été soulevée avec en sous-titre "super-humain ou machine ?" :
Cette notion de remettre l'humain au centre est ici aussi très importante avec les questions d'éthique et de société qui l'accompagne. Par définition, le transhumanisme n'est pas une finalité mais un outil, il ne s'agit pas d'immortalité amis d'amortalité. On peut toutefois se demander jusqu'où veut-on aller : à quel point peut-on supprimer les frontières du corps ? Vers quelle porosité vivant / non vivant s'oriente-t-on ? À quel point humains et robots vont être à même d'être interchangeables ? Quel risque d'aliénation encourt-on ? Quelles inégalités pouvons-nous accentuer ? Et de manière générale quels risques encourt-on et quelles limites sommes-nous prêts à poser ?
Si vous préférez m'écouter faire un résumé assez proche, je vous laisse regarder la fin de cette vidéo (et si vous souhaitez écouter toute la table ronde, libre à vous de visionner la vidéo en entier) :
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